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Jumpcut

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Petit ou grand, l'essentiel est sur l'écran


Le bleu, la brute et les vétérans.

Publié par Lionel Fernandez sur 6 Juin 2014, 07:59am

Catégories : #Avis

Il est enfin sorti, l'un des gros blockbusters annoncés de l'année, après une promotion en béton et quelques trailers alléchants. Un casting de qualité (Tom Cruise et Emily Blunt), un réalisateur visiblement enthousiaste à l'idée de produire un film de SF peu conventionnel, et un concept hybride entre "Starship troopers" et "Un jour sans fin" - concept directement adapté d'une nouvelle de Hiroshi Sakurazaka (All you need is kill), y'avait de quoi être franchement intéressé. Ceci étant dit le trailer ne faisant pas le film, le mieux était encore de se rendre en salle afin de découvrir cette réalisation extraterrestre fraîchement arrivée beau au milieu de blockbusters souvent stéréotypés à l'extrême. Ready for the show? bien, alors foutez vos armures de combat et allons affronter cette bestiole cinématographique plutôt intrigante, mais peut-être pas assez pour nous mettre à terre.

 Le bleu, la brute et les vétérans.

All you need is hope.

Après avoir piloté des F-14, bourlingué en agent secret, foutu la râclée à une entité spatiale inconnue et j'en passe, Tom Cruise endosse ici le rôle d'un champion toutes catégories de la communication en temps de guerre, spécialiste de la propagande de bureau vantant les mérites de légions entières de bonshommes et de nanas harnachés d'exosquelettes de combat dernier cri, dont la spécialité est de se mettre sur la gueule avec les Mimics, des extraterrestres dont le design (inspiré) est un savant mélange de harpie (pour les Alpha), d'étoile de mer en rotation accélérée et d'oursin tentaculaire observés sous LSD, et ayant atterri sur terre à l'aide de quelques météorites stratégiquement lancés depuis l'espace. Dès le début du film ça sent l'urgence et les emmerdes pour le genre humain, qui pour le coup fait front à la menace avec une armée unie - la menace en question ayant ici plus de deux bras et deux jambes. Le "Commandant Cage", incarné par mister Cruise himself, est tout sauf un militaire, et c'est là que ça devient intéressant: loin des clichés habituels des rôles qu'il a parfois joués, l'acteur incarne ici un publicitaire travesti en officier par son gouvernement, juste bon à entretenir la propagande positiviste. Une fonction qu'il ne manque pas de rappeler au général lui expliquant qu'il sera de la partie pour le débarquement final, chose à laquelle le "commandant" oppose une belle résistance qui pourrait se résumer à cette célèbre maxime: courage fuyons! Vous l'aurez compris, Tom Cruise prend le contre-pied des clichés qu'il a parfois inspirés, ce qui est aussi une excellente façon de préparer le terrain à l'évolution de son personnage.

Le bleu, la brute et les vétérans.

Le bleu c'est bien sûr Cage qui, n'ayant jamais tenu une arme de sa vie, se retrouve pourtant de force sur le tarmac d'une base militaire, avec pour ordre de se bouger le cul avant de manger de la rangeot. Très mauvais pour le sourire Ultra brite. La brute c'est Rita Vrataski (Emily Blunt), une héroïne de guerre tellement appréciée que son portrait est peint sur les bus des militaires, avec pour mention "Full metal bitch"... sans aucun doute une façon virile d'honorer le courage de la dame (Parité quand tu nous tiens...), qui s'est visiblement illustrée plus souvent qu'à son tour sur le champ de bataille. Quant aux vétérans, et bien ce sont les soldats de l'escouade que Cage rejoint bien malgré lui, et qui présentent tous des caractéristiques d'une grande originalité: l'un aime être à poil sous sa combinaison de combat (Show your balls, dude!), l'une ferait passer le pire réalisateur de gonzos pour un féministe, et je ne vous parle pas des autres... on aurait tout aussi bien pu les rencontrer dans certaines cinématiques de Starcraft II. Ceci étant dit, chacun de ces personnages (qui restent cependant au second plan tout au long du film) apporte à la réalisation un esprit BD (toutes proportions gardées, bien sûr, il ne s'agit pas non plus des aventures d'Astérix chez les Martiens) et un humour franchement pas lourdaud, mais plutôt situationnel: voir un de ces malabars se recevoir sur la gueule un vaisseau de transport de troupes alors qu'il roule des mécaniques sur le terrain de combat, ça ne peut que faire sourire (et d'ailleurs c'est fait pour).

 Le bleu, la brute et les vétérans.

Insert coin.

Ca commence fort pour Cage, surtout lorsqu'il se retrouve au milieu d'un bordel dernier cri à base de vaisseaux, d'explosions et d'aliens on ne peut mieux animés, le tout saupoudré d'une bonne dose de trouille: notre héros débarque en plein débarquement avec une connaissance telle de son matériel qu'il ne sait même pas comment tirer sur les bestioles qui déboulent de tous les côtés. Cette première scène de combat est l'occasion pour le réalisateur de nous plonger en pleine action, et il le fait avec brio: à la différence du récent Godzilla, dans lequel les scènes militaires ont quelque chose de trop lisse, ici c'est vraiment la zone la plus totale; ça pète de tous les côtés, ça court dans tous les sens, et un oeil averti remarquera que, derrière Cage, il se passe plein de choses qui font honneur au mot "chaos". D'ailleurs, le fait d'avoir situé l'action en Europe (et de nos jours, comme en atteste le très court instant où l'on voit François Hollande - mais oui vous avez bien lu!), avec des références historiques évidentes, joue sur l'inconscient collectif des spectateurs et parvient à insuffler à ce débarquement catastrophe de la crédibilité. Tom Cruise offre d'ailleurs là une interprétation sans faille, le décalage entre la peur qu'il ressent et la voix mécaniquement posée de son armure de combat achevant de souligner le contraste entre la nature de l'homme et l'inconscience naturelle de la machine. On sait donc (comme le sergent qui tient son discours burné à Cage lors de son arrivée à la base) que le pauvre garçon ne va pas faire long feu, mais c'est sans compter sur la chance du débutant: à tout seigneur tout honneur, donc, le soldat Cruise parvient à buter un Mimic "Alpha", qui lui explose d'ailleurs tellement bien à le gueule que le pauvre humain en perd aussi la vie. Mais comme il fallait bien que le concept du film se mette en place, Cage hérite ce faisant d'un drôle de pouvoir (transmis par le sang corrosif de la bestiole), qui est en fait celui des (rares) Alpha... la possibilité de remonter le temps et de revenir à un instant situé avant sa mort. Voilà donc notre non-soldat non-héros but "full metal lopette" affublé d'une capacité qui, on s'en doute, ne va plus lui laisser un instant de répit. Y'en a qui rêveraient de mettre des game over à la vie juste histoire de se payer la tronche de l'histoire mais Cage, lui, se serait bien passé de ce cadeau: manque de bol il est condamné à revivre son arrivée sur la base jusqu'à ce qu'il comprenne que son rôle est de gagner la guerre. Seulement pour ça va falloir s'entraîner, et accepter de passer l'arme à gauche plus souvent qu'à son tour. La guerre étant l'un des outils préférés de la mort, autant dire que le militaire ne va pas manquer d'occasions. Il y a toutefois un problème: qui va écouter ce que la plus lâche et la moins expérimentée des recrues a à dire à propos du futur?

Sois un héros ou recommence.

Cage comprend vite qu'il se passe quelque chose de spécial, et pour cause: à chaque fois qu'il meurt son aventure recommence, et il sait que pour faire quoi que ce soit de constructif (et oui, le monsieur n'est pas si couard que ça) il va falloir approcher l'icône Rita, qui elle ne s'entraîne pas avec un novice de son genre. Notons ici que, se sachant en quelque sorte immortel, Cage n'hésite pas à utiliser chaque jour nouveau afin d'aller un peu plus loin, ce qui est prétexte à quelques scènes sombrement drôles: prenons par exemple celle où il tente de s'échapper de l'entraînement en roulant sous un camion qui passe... la première fois il synchronise mal son action, ce qui a pour conséquence de le renvoyer à la case départ. Cette série de petites morts, qui à chaque fois fait sourire, est également une façon pour le réalisateur de montrer l'acharnement dont fait preuve son anti-héros, qui l'air de rien ne renaît pas sur une plage d'Honolulu mais bel et bien au coeur du conflit ce qui, psychologiquement parlant, n'est pas ce qu'il y a de plus sain, vous en conviendrez. En fin de compte, et après nombre d'essais, Cage parvient à approcher Rita qui, ô surprise, ne le prend pas pour un fou, bien au contraire: on découvre donc qu'elle-même a bénéficié du même pouvoir avant de le perdre suite à une transfusion sanguine, en conséquence de quoi la miss décide d'entraîner le fort peu expérimenté soldat. On apprend également que la star des troopers a subi quelques manipulations chirurgicales, et qu'un scientifique relégué au rang de mécano en sait plus que ce qu'il n'est censé raconter. À partir de ce moment, le film entre dans une dynamique nouvelle et joue le rapprochement entre les deux soldats, en évitant le piège de la romance spatio-temporelle. Notons ici que l'interprétation d'Emily Blunt est sans faille, la belle paraissant plus à bout qu'autre chose, ce qui est somme toute logique dans une situation pareille.

 Le bleu, la brute et les vétérans.

Sois un héros ou recommence - bis repetita.

De jour en jour (si l'on peut dire) on assiste à l'évolution de Cage qui, bien malgré lui, endure le côté sombre de la force, cette répétitivité lancinante faisant impeccablement référence à l'usure mentale que doivent ressentir nombre de vétérans - les vrais, ceux de notre monde. Un jour est finalement égal à un autre et, dès que Cage passe de mort à trépas (parfois de la main même de Rita, qui "reprend" la formation à l'aide d'un flingue lorsque son élève, pas assez rapide et adroit pour éviter les robots d'entraînement, agonise sur le stand de préparation), il lui faut composer avec sa mémoire, sans autre liberté d'action possible que celle de ne pas faire la moindre erreur d'appréciation, sans quoi le jeu recommence. On aurait pu craindre un effet de redondance mais, si pendant le premier tiers du film Cage meurt relativement souvent, l'histoire met progressivement à profit l'expérience acquise par le personnage, et nous voilà partis dans de nouveaux décors au coeur d'une Europe désastrée et fantomatique, ou bien encore dans le bureau du général qui a envoyé le publicitaire au casse-pipe. Notons au passage que Cage, sachant par avance ce que l'on va lui dire, anticipe en fonction, ce qui jette un sérieux trouble dans l'esprit de ses homologues et permet au héros d'avancer progressivement, certains personnages n'ayant d'autre choix que d'accorder du crédit à ce qu'il affirme, le tout sous l'oeil de Rita qui ne passe jamais au second plan, bien au contraire même. Les scénaristes parviennent à équilibrer la place des deux principaux personnages, l'un étant en fait un écho de l'autre.

Mic-mac pour Mimic.

Doug Liman se livre ici au difficile exercice consistant à recommencer son film tout en lui donnant une continuité, et force est de reconnaître que l'on ne s'ennuie pas en cours de route, la naturelle dose d'humour présente soulageant le spectateur de l'inévitable sentiment d'agacement qu'il aurait pu ressentir à un moment donné, et ce sans jamais mettre de côté l'aspect tragique, voire même épouvantablement obsessionnel, de cette histoire. Les effets visuels sont souvent somptueux, la mise en scène efficace et les plans choisis des plus dynamiques, et cela sans jamais nuire à la lisibilité de l'image. Les Mimics (réellement réussis), qui jalonnent le parcours des deux soldats, sont quant à eux les balises d'un questionnement sans cesse renouvelé: et après on fait quoi? De ce point de vue le film ne s'enlise pas, et nous emmène sans forcer vers sa seconde partie - celle où Cage et Vlatasky approchent enfin de l'Omega, qui est le maitre du jeu temporel de cette histoire sans fin. La vision d'un Paris apocalyptique (et donc quasiment méconnaissable) annonce le troisième et dernier acte de ce long-métrage de SF, et puisque tout au long de l'aventure on se demande plus ou moins consciemment comment les scénaristes vont in fine se dépatouiller avec ce mic-mac temporel, la pression monte donc graduellement, surtout qu'avant la dernière phase d'attaque Cage perd son pouvoir de la même façon que Vlatasky. Faisons un bond en arrière, si vous le voulez bien: Cage meurt, revient, meurt encore et revient toujours, rencontre Rita, meurt de sa main et apprend à survivre grace à elle, sort du contexte du champ de bataille avec une connaissance toujours plus affinée, et se retrouve finalement privé de son joujou bio-spatio-temporel . Désormais isolés en plein coeur d'une capitale dévastée, les deux partenaires (un temps accompagnés par leur escouade) n'ont qu'une seule et unique chance de vaincre le big boss, et si tout au long du film le pouvoir de remonter dans le temps apparaît comme une malédiction, le spectateur pourrait se surprendre à penser qu'en fin de compte, ce serait pas si mal que Cage ait encore quelques crédits. Pas de bol, maintenant va vraiment falloir être plus prédateur que le prédateur, et cette dernière ligne droite, en dépit de quelques cascades qui auraient du sérieusement blesser les militaires, fait la part belle à la tension. Une montée en puissance parfaitement orchestrée jusqu'à la destruction de l'Omega, sans grande surprise mais sans aucune déception non plus, et puis... Cage se réveille dans un hélicoptère. La présente chronique n'ira pas beaucoup plus loin, pour la bonne et simple raison que EOT se finit comme la vie d'un chien que l'on aurait soigneusement élevé pendant dix ans avant de lui couper subitement la tête. Je sais c'est débile, mais c'est pourtant ce qui se passe au cours des dernières minutes de la séance, le paradoxe spatio-temporel n'étant absolument pas maîtrisé scénaristiquement parlant. Pire encore, là où tout le film parvient à jouer la carte dulâche devenant un héros malgré lui, la fin elle-même est presque la négation d'une telle entreprise, à tel point que le tout s'effondre comme un château de cartes: si le but était de générer du débat nul doute que ce dernier aura lieu, mais cela se fait au détriment de la cohérence la plus élémentaire. Y'aura donc sans aucun doute de la discussion, de la théorie et de la bataille de posts sur les forums spécialisés, mais de mon point de vue faut arriver à penser comme un extraterrestre pour trouver la moindre once de crédibilité à un final aussi dissonant. Quand bien même il s'agit d'un blockbuster (donc destiné au plus grand nombre), Liman décide finalement de ne faire aucun choix: le film n'est pas assez développé pour donner un sens à cette fin sans queue mais surtout sans tête, et prétend dans le même temps laisser la porte ouverte à nombre de suppositions. La belle affaire... De deux choses l'une, donc: soit vous prenez la fin pour ce qu'elle est et vous en êtes satisfait, soit vous prenez la fin pour ce qu'elle est et vous le déplorez - ce qui est mon cas. Vous trouvez que je tranche un peu trop vite? vous avez raison, et c'est d'ailleurs ce que vous pourriez ressentir lors du plan final, décevant au possible. Allez Doug, n'essaie pas encore une fois...

 Le bleu, la brute et les vétérans.
Edge of Tomorrow de Doug Liman

avec Emily Blunt, Tom Cruise, Bill Paxton, Charlotte Riley et Jonas Armstrong.

113 minutes

en salle depuis 4 juin

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